La traversee de papi

Lundi 24 novembre

Papi remplace le matelot Tristan sur Glazik, nous avons 30 secondes pour échanger les consignes.

Tristan est heureux et bronzé, tout content de retrouver sa mamie. Avec les poids de plongée, les cours du CNED, l'émerillon d'enrouleur, ciré, bottes, confitures , pruneaux, crêpes, camemberts , couteau de plongée, paperasse, hotte du père Noël , hameçons, mitraillettes , rappalas, lectures...et un raton laveur...c'est un super supplément de bagages !

Arrivée à Sal, Cabo Verde, avant de passer la douane je grée le drapeau breton sur une latte de grand'voile, tout Glazik est là, bisous rapides, Beatrice s'empare de mon passeport et me fait sortir administrativement des îles du Cap Vert, speedy...

Au mouillage je fais connaissance d’une partie de la flottille-des-familles-de-3-enfants-de-2-à-12-ans : « Zed » le Belge, « Moana » de Plougastel et « Tomadji » de Dunkerque qui embarque aussi son papi pour la traversée.

Les enfants passent d'un bateau à l'autre à la nage ou en annexe, Corentin manie bien les avirons.

25 et 26 novembre

Ronan termine son carénage en apnée : Glazik a le ventre bien lisse, une super glisse. C'est en winchant le capitaine en tête de mât qu'on s’aperçoit qu'il est très très haut, c'est éreintant , ça explique la belle musculature de Bea.

Mais il n'y a pas que le travail , il y a aussi les pots et les re-pots et je tombe à l'eau tout habillé en rattrapant une chaussure qui partait à la dérive.

Départ à midi de ce mouillage abrité avec en plein milieu les mats d'une épave de chalutier, en route pour Brava , la dernière île à l'ouest avant l’amérique.

Dans la nuit un gros choc fait vibrer tout le bateau , vérification de la soute avant et des fonds, il n'y a pas de voie d'eau ; c'était un choc non brisant, un peu mou, nous pensons à une baleine.

C'est la mer des alizés, une houle longue et puissante avec 20 noeuds de vent, je me sens un peu éléphant, mon cerveau n'anticipe pas les accélérations variées, je me cogne un peu partout et je n'ai plus la souplesse de la jeunesse ; je suis émerveillé de voir Alicette se promener à l'intérieur sans renverser son verre d’eau.

27 , 28 et 29 novembre

Brava, 198 nautiques en 24 h, 2 fois plus rapide que Gwalarn en traversée de Manche, c'est un bateau rapide.
Tomadji est seul dans la magnifique petite baie de Faja d'Agua et salue notre arrivée à la corne de brume, Alix parle à ses amis par VHF tandis que le capitaine fait un tour d'honneur pour trouver le bon endroit pour mouiller l’ancre.

Faja une petite baie abritée face à l'ouest, le dos à l'alizé, la montagne volcanique tombe dans la mer, la rangée de maisons court le long de la plage abrupte de galets noirs, quelques barques y sont tirées au sec. Un pêcheur propose un thon à Bea qui le transforme en bourguignon.

Les 2 papis font un tour à terre avec les 5 enfants , nous les amenons à l'école du village et expliquons au tableau d'où nous venons, l'échange est maigre à défaut de parler portugais, mais nous rencontrons Brigitte, une lilloise qui fait maison d'hôtes dans la plus grande maison.

Le vendredi 28, M et Mme Tomadji et Mme Glazik prennent le taxi-brousse pour monter dans la capitale de l'île faire le marché et réussissent enfin à trouver un internaute, le curé de la ville.

L'énergie à bord : la grosse consommation d'électricité c'est le pilote automatique puis l'éclairage, pas d'illuminations dans la cabine, navigation de nuit avec seulement le feu de mât, repas du soir dans le cockpit à la lampe à pétrole.

Sur beaucoup de bateaux il y a éolienne et capteurs solaires, mais ils mettent souvent en route le moteur de propulsion pour charger les batteries, barrent souvent à la main et s'ils ont un radar ne s’en servent peu.

Sur Glazik Bea voulait une machine à laver consommant eau douce et électricité : seule solution un groupe électrogène et un dessalinisateur.

Tous les jours on démarre le groupe pour charger les batteries, refaire de l'eau douce, et comme il y a du 220 V, recharger le téléphone satellite, le rasoir, l'ordinateur(dès que le groupe tourne Corentin sait qu'il n'y a pas de problème pour mettre un DVD), et faire la lessive au besoin dans un mouillage calme car la machine est rangée dans la soute avant, sous l’annexe, les voiles et les aussières.

On peut aussi avoir de l'eau chaude pour la douche et la vaisselle. A Sal, Glazik a fait le plein d'eau de Moana, à Faja c'était le tour de Tomadji.

Samedi 29, c’est le départ de Tomadji pour la Martinique, il y a du vent dehors et ils disparaissent rapidement à l'horizon.

Sur Glazik il y a école et vérification des niveaux d'huile.

Tout l'équipage débarque chez Brigitte (pensao_sol_na_baia@hotmail.com) pour visiter la maison, admirer les tableaux de son mari et prendre un bon repas à terre, elle me fait penser à une autre célèbre Brigitte à l'île de Sein. Pour le dîner Corentin nous a pêché une bonne friture.

Dimanche 30 novembre, départ à 10 h 30.

Les passagers d'un navire peuvent s'étendre sur le romantisme du départ, ce n'est généralement pas le cas de l'équipage qui fait alors face à un pic d'activité, parci -par là quelques instants pour agiter les bras en réponse à la terre, terre qui s’éloigne et dont les détails s'évanouissent lentement.

Dehors l'alizé est là, 23 n, le super pilote barre avec précision par rapport au vent apparent, c'est sécurisant par vent de l'arrière ; le GPS annonce une vitesse de 10n.

Je peine à intégrer Glazik , c’est un rude changement d'échelle en comparaison de mes habitudes sur Gwalarn.

Pas question de toucher au chariot d'écoute de grand'voile sans palan, toujours 4 tours sur la poupée de winch qui sont ici self tailing ; 2 pianos de bloqueurs sans étiquettes à mémoriser ( 4 drisses, 3 bosses de ris, 2 balancines, 2 hale bas, enrouleur), de chaque côté : écoutes de génois et de trinquette, bastaques , écoutes de spi. Les mouvements sont différents, certes dus à la houle mais aussi aux rappels puissants du pilote , mais ça ne me donne pas le mal de mer ; je sens la carène passer en force en se contorsionnant de droite et de gauche.

Pas de radar avec alarme, il faut donc avoir une veille permanente anti-collision, ce qui se traduit par l'obligation d'un tour d'horizon au minimum toutes les 10 minutes jour et nuit.
Ronan trace la route sur la carte de la transat des alizés, une belle ligne droite de Brava à la Martinique et le GPS nous dit que cette droite mesure 2000 nautiques.

Lundi 1er décembre.

Le capitaine annonce avec fierté que nous avons parcouru 225 nM en 24 h , son record et pourtant nous avions pris le deuxième ris à 5:00h.

La fixation du pied du vérin du pilote sur la cloison a pris du jeu , on resserre, mais il y a un problème de conception.

Je suis favorisé dans la distribution des quarts : 21:00h - 1:00h papi, 1:00h- 5:00h Ronan, 5:00h- 9:00h Bea, aussi je déborde avant et après, mais pas plus d'une heure pour éviter un rappel à la discipline.

2 et 3 décembre.

Vent à peine moins fort. 2 ris et génois tangonné.

Corentin est content, 2 dorades coryphènes. Le matin un tour de pont permet de rejeter à la mer les poissons volants coincés le long du rail de fargue.

4, 5 et 6 décembre

Zone des calmes inter-tropicaux pour la méteo ou pot-au-noir pour les marins, incroyable, le captain a mis le moteur quelques heures.

Le bateau souffre et gémit, les voiles fatiguent à passer d’un bord sur l'autre . J'ai alors un souci , à cette vitesse nous arriverons en Martinique après Mamie et Tristan et j'ai dans mon sac la clé du studio de Schoelcher.

Corentin m'initie à la pêche au gros, il ne s'agit plus de prendre du maquereau à la traîne, nous avons perdu 2 leurres sur lignes fixées au balcon ; le moulinet à frein réglable est indispensable , pas la canne.

Est-ce dû à la pétole ? Nous prenons 2 thons, la cambusière se réjouit de varier les protéïnes.

Christophe Colomb naviguait aux étoiles, avec seulement la boussole il n'aurait peut-être pas découvert l'Amérique, car dans cette zone l'écart entre nord magnétique et nord géographique , atteint 19°.

L'horloge parlante c'est Béatrice, elle décide du changement d’heure, je vérifie dans l'Almanach du Marin Breton, les hernies des fuseaux horaires sont bénignes et puis peu importe, sauf à rectifier l'heure d'écoute de la méteo du large qui d'ailleurs nous cache souvent la vérité car nous sommes en limite de zone.

7 décembre.

Super nuit tropicale, à 3 h Ronan crie au secours, en moins de 10 secondes papi et Bea giclent sur le pont en nuisette et pyjama mais sans harnais.

Le génois est à l'eau , cette toile épaisse n’est pas facile à saisir au milieu, nous le rangeons proprement le long des filières bâbord.

Le roulis de pétole a réussi à dévisser la manille du point de drisse ; on enchaîne par la mise en place de la trinquette et Glazik allonge le pas..

Puis le vent vire à l'ouest et comme en bretagne amène la pluie et nous voici en bottes et cirés sous les tropiques ... à 10 h Tomadji droit devant. Ce n'est pas étonnant car tous les jours il y avait un contact par iridium satellite avec échange des points et nous sommes pile à mi-parcours.

C'est sympa de voir les amis au milieu de l'Atlantique et le capitaine est toujours fier de doubler.

8 , 9, 10, et 11 décembre.

Alizé et ciel bleu reviennent et je rate le poisson de ma vie, un espadon 1m50, je suis tout penaud.

Le vent mollit, passe SSE et revient à l'Est, l'enrouleur a encore des problèmes mais nous faisons route directe sur l'arrivée, sans manoeuvre.

12 , 13 et 14 décembre.

Vent constant, cap constant, le rêve des alizés. Nous doublons un catamaran US, déjeunons et dînons dehors : Glazik devient salon de lecture.

Dimanche 15 décembre

Grande toilette du pont et du cockpit, à 16h15 « Terre !! terre en vue !!!! » nous passons le rocher du diamant et à 1 h 30 mouillage Grande Anse d’Arlet.

Post Scriptum

Génial de commencer la traversée au premier quartier, les levers de pleine lune étaient magnifiques, et les cornes du croissant sont vers le haut comme le casque d’Obélix.

Glazik sera meilleur après un an, après rodage et déverminage par un capitaine méticuleux.

C'est fou le temps passé à préparer un bateau neuf, surliures sur les aussières comme dans le cours des Glénans, protection des ridoirs cuir cousu main, réglage de l'informatique du bord, pose du filet de protection, recherche des guides et des cartes, tout vérifier et au dernier moment s'apercevoir que le barbotin n'est pas adapté au calibre de la chaîne, erreur rectifiée mais il manque une pièce... et après le départ les coulisseaux de GV trop légers pour un 46 pieds, l'emerillon d’enrouleur qui coince, la résine du tangon en carbone allergique à l'eau de mer, le vérin du pilote tire trop sur la cloison..

Je remercie Tristan de m'avoir prêté sa couchette, Corentin pour sa patience pendant les cours de physique et pendant mon sommeil sonore, Alix qui a lu et écrit papa pipi popo pipo.

Merci à Béa pour l’odeur de pain au four pendant le début de mon quart et pour sa cuisine innovante.

Merci à Ronan de m'avoir proposé ce voyage, un vieux rêve, comme élève de mon fils.

 

 
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